Remise de la Bourse de la SNEQ, Salon du livre Rimouski

Lors de l’inauguration de la 54e  édition du Salon du livre de Rimouski, la Société nationale de l’Est du Québec a procédé à la remise d’une bourse de 500 $ à un étudiant en première année du programme Lettres et création littéraire de l’UQAR. Cette année, le récipiendaire est M. Édouard Youssef. Sur les photos, dans l’ordre habituel, M. Gaston Rioux, Président de la Commission scolaire des Phares, M. Alain Martineau, Président de la SNEQ et Mme Camille Deslauriers, Professeure en Création littéraire à l’UQAR. Sur la photo du centre, la bourse de 500 $ est remise au récipiendaire en présence des Présidents et de M. Harold lebel, Député de Rimouski. Après la réception de son prix, M. Édouard Youssef s’adresse aux invités d’honneur. Félicitations !

Voici le texte de M. Édouard Youssef :

LA PIEUVRE

La plage est froide. Votre cœur suit le métronome du va-et-vient des vagues. Vous vous débarrassez de vos vêtements, un à un. Dans la pénombre fissurée, votre corps nu s’approche de l’eau. Votre œil ne voit pas l’œil qui vous observe de loin. Un orteil. Dix orteils. Deux pieds. Deux mollets, deux cuisses, un plongeon. La mer glaciale enserre votre thorax, enlace votre corps qui se débat pour se réchauffer. Vous tendez la tête vers l’oxygène. Petit à petit, vos membres cessent de s’agiter et se laissent flotter. Les vagues vous bercent doucement. Votre esprit oublie qui, où et pourquoi il est. Vos mains remuent, caressent l’eau du bout des doigts, comme pour signaler qu’elles savent où vous allez. Mais personne ne sait jusqu’où on va une fois qu’on a pris la mer.

Vous sentez le soleil se promener sur votre visage, du front aux pommettes, et atterrir sur votre menton. Sous votre corps tournoie une masse indistincte. Votre esprit divague à l’horizontal, pour mieux comprendre la mer. Celle-ci n’est jamais immobile : elle frémit, elle ondule, elle vit. Sa substance est fragile mais sa masse la rend immense, son fond demeure inaccessible. Sa couleur varie selon le ciel, le vent influe sur sa furie. Votre esprit change d’état : il se dilue, il s’étend, il se fige. Puis il se contracte, implose, coule par vos oreilles, se répand tout autour et salit la mer.

Votre corps ne bouge plus. Sa dérive a commencé. Une pulsion tente de vous réveiller. Elle vient du ventre, du cœur, elle rugit dans la poitrine. Votre mâchoire se referme d’un coup sec, mord la langue et la joue. Mais le reste de votre corps ne réagit pas. Du sang commence à couler, inonde votre bouche. La douleur vous assaille à cause du sel marin qui se dépose sur la plaie. L’écume blanche se mélange à l’écume rouge. Vos doigts empoignent la mer mais elle demeure insaisissable. Vos genoux ploient et vos cuisses s’enfoncent dans l’eau. Vos pieds ne s’agitent plus, se laissent entrainer par le fond. Bientôt ce sont vos hanches qui sont englouties, puis votre ventre et vos épaules. Il ne reste plus que votre tête. Votre visage est tourné vers le ciel. Vos oreilles sont bouchées, vos yeux fermés et vos lèvres ensanglantées. La mer vient couvrir votre front d’une main douce et blanche.

Une bulle. Un miroitement. Les poumons congestionnés. Votre main cherche à s’accrocher aux gouttes d’eau. Le temps est infini, la mer glacée. Votre tête se replie sur elle-même. Deuxième bulle. Elle monte comme une méduse, s’élargit en corolle blanche et rouge. La lumière ténue est filtrée par l’écume. Prisme. Hydrocution des couleurs. Votre œil cherche à les voir mais le point noir s’agrandit. Troisième bulle. Vos jambes remuent mais les orteils sont déjà inertes. L’abysse est proche.

En mer, comme dans l’espace, personne ne vous entend crier. L’eau fige la voix. Le corps s’élargit. Les doigts se détachent des mains qui se détachent des bras qui se détachent du tronc qui se détache des jambes. Seule reste la tête. Puis le nez se détache. Une oreille, deux oreilles. Un œil, une dent, deux yeux, trente-deux dents. Les lèvres se déchirent, les orbites se remplissent d’eau, qui coule en larmes invisibles sur les joues perforées. La peau se dissout dans l’iode, la chair rouge vif s’efface en écume légère. Ne restent que les os nacrés dans la noirceur de l’abîme.

 

Quatrième bulle. Votre œil contemple l’air qui s’en va vers la surface. Votre corps va mourir. Il vous faut de l’air. Du sang dans la tête, et non dans la bouche. Vos sens s’éteignent. Le sel pique la blessure, réveille les nerfs endormis par le froid. Le corps va mourir. Il lui faut de l’air.

Une autre peau se pose alors contre la sienne. Une peau visqueuse, appartenant à un corps gélatineux. C’est un bras parsemé de petites bouches. Elles se collent sur le corps qui coule. Un deuxième bras vient affirmer l’emprise, puis un troisième. Le torse embrassé par le visqueux se sent réconforté, l’étreinte le rassure. Les frissons se calment, les veines pulsent le sang. Les doigts agrippent de nouveaux baisers mucilagineux. Cinquième bulle.

Le corps est pris dans un cocon frémissant. Les tentacules se referment sur lui pour le protéger. Les yeux brûlés par le sel perdent tout repère. Dans l’eau infinie, les deux êtres sont en apesanteur. Leurs atomes en expansion, ils font toute la taille de la mer. L’abîme est leur nouveau ciel.

Les bras gigantesques tirent le corps vers le firmament abyssal. La tête s’évanouit. La pieuvre descend encore un peu plus profond. À la surface crève la sixième bulle.

Remise de la bourse SNEQ

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Remise de la bourse SNEQ