Texte de la récipiendaire de la Bourse de la Société nationale de l’Est du Québec, madame Emmy Lapointe. La bourse a été remise lors de la cérémonie d’ouverture du salon, le 2 novembre dernier, par le secrétaire du conseil d’administration de la SNEQ, monsieur Armor Dufour. Sur la photo, monsieur Martin Robitaille, professeur à l’UQAR, accompagne madame Lapointe et monsieur Dufour. Félicitations à la récipiendaire !
Crédit photo : Michel Dompierre
Florent,
Ici, tout frappe. Les voitures, le froid et les gens. Et ils ne s’arrêtent pas quand ils le font.
C’est vrai ce qu’on dit sur eux. Leurs pupilles sont aussi froides que leur fleuve. Je pense que ce n’est pas le même que nous. Le nôtre est moins large. On voit où il finit. Où il commence. On tient ça entre nos mains.
La peau sur leur corps a l’air rude. C’est surement le sel qui fait ça. Et le vent les fait se tenir loin. Leurs rues sont pleines de calcium et vides de toi.
Si je pouvais, je partirais d’ici. Je crisserais mon camp. J’irais te rejoindre. On marcherait sur la troisième avenue, les mains collées ensemble. À mon rythme plus lent que le tien. Tu ferais des cercles dans ma paume avec ton pouce.
J’aurais un pull de laine avec les manches agrandies. Toi, tu serais élégant. On ne parlerait pas. On laisserait la douceur le faire à notre place. Et à un moment donné, on s’assoirait sur un banc un peu humide. Ce serait la faute de la rosée, mais on la pardonnerait. Puis, juste comme ça, pour rien, je voudrais que tu me parles de Gauguin. Je trouve ça laid ce qu’il peint, mais t’es beau quand t’en parles.
On se relèverait. On marcherait jusqu’au Lièvre. Une fois rendus, on s’assoirait du même côté de la table même si on n’a pas l’âge de le faire. Je commanderais une théière de jasmin et toi, deux pâtisseries qu’on partagerait. Il y aurait une réplique d’un tableau de Matisse. Je dirais un peu trop fort que ça me donne mal à la tête. Tu me dirais que je suis stupide avec une tendresse que juste tes lèvres connaissent.
J’ai oublié comment on fait Florent. Comment on fait le doux, le tendre. Je pense que je suis en train d’oublier ta peau, ton cou. Tes mains. Je suis en train de nous oublier.
Mais quand je pourrai, je partirai d’ici. Je crisserai mon camp. J’irai te rejoindre. On marchera dans les rues pleines, les mains cousues. Ça s’éteindra juste au-dessus de nos paupières. On se couchera sur les murs. On regardera le ciel tomber sur nos joues.
Emmy Lapointe
2017